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La philosophie de L’Islam

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Cours donné à l’Université Populaire de Genève, 1998-99.

La philosophie de l’Islamtrouve ses racines dans les académies de l’église schismatique des Nestoriens et celle des Jacobites, qui, émigrant de la Syrie au 4e s., se sont établies dans la perse sassanide à Nisibin et Jundichapur. Au 7e s., les musulmans ne s’intéressaient pas encore à la logique et la philosophie grecque, mais avec la confrontation aux philosophies dans les pays qu’ils dominent (précédemment hellénistiques) et l’influx de convertis chrétiens et juifs, leur intérêt en la matière s’est accru.

La première école de philosophie proprement islamique est celle des Quadarites, qui apparaît au 8e s. en Syrie, en réaction au déterminisme coranique; on peut nommer Ghaylan (m. 743).

Le problème du libre arbitre devient un des sujets chers à l’école rationaliste de Mutazilites, qui s’exprime sous les califes abbasides de Bagdad (750-1258). La fameuse Maison de la Sagesse, fondée par le calife al-Mamoun (786-833) à Bagdad, fait partie de cette tendance. C’est là que le physicien nestorien Hounayn ibn-Ichaq dit Joannitius (809-873), avec son fils et son neveu, traduit des textes grecs authentiques tels que La République de Platon et Les Catégories et La Physique d’Aristote, mais aussi des apocryphes.

Une réaction orthodoxe islamique est menée au 10e s. par abou-al-Hassan al-Achari de Bagdad (873-935). D’abord disciple des Mutazilites, il se révolte contre leurs “hérésies” et fonde l’école des Mutakallimoun. Sa nouvelle dialectique (kalam), bien que quelque peu réceptive au raisonnement grec, le subordonne à la vérité révélée du Coran (le dogme, dirons nous).

Une harmonisation entre la philosophie et la religion est aussi poursuivie, mais de manière syncrétique, par divers grands métaphysiciens anti-orthodoxes tels que les néoplatoniciens al-Kindi (arabe, m. ca. 873), al-Farabi ou abou-Nasr dit Alfarabius ou Abounaser (turc, ca. 870-950), ibn-Sina dit Avicenne (persan, 980-1037) ou encore l’aristotélicien ibn-Rouchd dit Averroës (Espagne-Maroc, 1126-1198).

D’autres tendances désapprouvées par les conservateurs incluent les Frères de la sincérité de Basra (pythagoréens), les Encyclopédistes de Bagdad, et les Soufis (mystiques). Ces derniers incluent le grand théologien al-Ghazzali dit Algazel (1058-1111), qui s’oppose pourtant aux néoplatonistes.

La controverse entre les orthodoxes et les philosophes plus libres penseurs (falasifa) islamiques est due à leurs conceptions différentes concernant D., la création, la prophétie, l’âme et son immortalité.

Pour exemples: est-ce que la connaissance de D. concerne les lois générales de la nature, ou tous les faits individuels? Si la matière est éternelle, comme le dit Aristote, la création n’est elle pas mise en doute? Si l’âme humaine n’est qu’une faculté intellectuelle et morale, peut-elle être immortelle? Etc.

Les défendeurs de la foi font appel à Démocrite: dans un monde constitué d’atomes, où même l’espace et le temps sont composés d’unités discrètes, D. est nécessaire pour continuellement donner vie au mouvement. Avicenne fait appel à la théorie de l’émanation de Plotinus. al-Ghazzali attaque le rationalisme en 1095 dans l’ Incohérence des philosophes. Averroës lui répond en ca. 1180 dans l’ Incohérence de l’incohérence.

Les philosophes islamiques ne sont pas de simples expositeurs de la philosophie grecque, mais des penseurs créatifs. Ils ont une grande influence dans ces deux rôles sur les philosophes juifs et chrétiens de l’époque médiévale.

En ce qui concerne la philosophie juive, il faut citer Moshe ben Maimon dit Maimonides (Espagne-Maroc-Egypte, 1135-1204). C’est un aristotélicien par Avicenne et surtout Averroës, qui comme eux oppose la métaphysique des Mutakallimoun. Il influence le dominicain Thomas d’Aquinas (1227-1274). On peut aussi mentionner Avendeath (converti au christianisme, ca. 1090-1165), traducteur et donc intermédiaire entre le monde arabe et occidental. La plupart des textes d’Averroës parviennent aux écoles occidentales en langue hébraïque.

Avicenne a une place importante chez Aquinas, ainsi que chez son maître le dominicain Albertus Magnus (ca. 1193-1280). Plus tard, il est cité par Meister Eckhart (ca. 1260-1327) et Dante (1265-1321), parmi d’autres. Averroës, il faut dire, contrairement à son prédécesseur Avicenne, n’est pas apprécié par l’Eglise, qui proscrit sa doctrine au 13e s.; Guillaume d’Auvergne se dédie à le réfuter, ainsi que le franciscain St. Bonaventura (1221-1274).

La philosophie islamique perd son souffle vers la fin du 13e s.


[1] Basé principalement sur Edward J. Jurji (“Arabic and Islamic Philosophy”, History of Philosophical Systems, Littlefield Adams: NJ, 1961).